Jacob s’intéresse depuis plus de quatre ans à la langue des signes, et particulièrement à l’impact de celle-ci dans les apprentissages des Sourds, leur autonomisation progressive et dans la communication avec leur entourage. Il a fréquenté deux écoles spécialisées de Dakar dans le cadre de l’étude de terrain de sa thèse en cours.
Jacob Mendy
Les enjeux linguistiques de la scolarisation des enfants sourds
Dans le domaine de la scolarisation des enfants sourds, le maître-mot reste l’utilisation par-dessus tout de la langue qui parle aux élèves au lieu de leur en imposer une autre. Cela est bien compris par les acteurs de la scolarisation spécialisée des sourds au Sénégal même si dans la pratique, le rendu est linguistiquement hétéroclite (mélange entre français signé, langue des signes familiers et oralisation). Mais, l’acquisition de la langue même est un phénomène assez particulier pour les sourds. Alors que les parents sont principalement « générateurs de langue » et les enfants entendants, plus ou moins des « imitateurs », cette première tâche revient, dans bien des cas, aux enfants sourds puisque ne pouvant profiter du canal audio-vocal de leurs parents, majoritairement entendants, pour la réception d’informations.
Dans l’étude que nous avons menée auprès de 35 jeunes sourds de deux écoles spécialisées de Dakar (les écoles Renaissance des Sourds et Etoile Brillante du Matin), il a été remarqué que les problèmes communicationnels entre les sourds et leurs parents entendants sont plus récurrents lors de la période qui fait juste suite à leur scolarisation. La communication devient alors de moins en moins problématique pour les sourds les plus âgés qui prennent plus conscience de la diversité linguistique inhérente à leur milieu et se prêtent ainsi plus aisément au jeu de l’alternance codique « code switching ». C’est derniers mettent plus en avant les gestes conventionnels retrouvés dans les langues locales. Cela n’est pas forcément le cas des plus jeunes qui, pris par l’euphorie et le déclic qu’auront causés les premiers contacts avec une langue des signes et surtout un contact permanent avec d’autres sourds, sont plus enclins à perdre patience et à vouloir imposer cette nouvelle langue.
Surdité : handicap partagé, responsabilité partagée !
La surdité est dite « handicap partagé » en référence à la communication car à défaut d’entendre, les sourds empruntent naturellement le canal visuo-gesuel pour la transmission et la réception d’informations. Or, une personne non initiée à la langue des signes se sent aussi impuissante face à des signeurs initiés que le sourd face à des entendants.
Les entendants éprouvent naturellement des difficultés à « communiquer » avec un sourd et trouvent encore plus éprouvant de communiquer avec un sourd scolarisé qu’avec un autre qui ne l’est. Encore faudrait-il rappeler que la communication suppose un échange, un partage et un flux d’informations dans les deux sens ! En réalité, ces personnes pensent mieux « communiquer » avec le sourd scolarisé ou non dès l’instant que leurs requêtes sont satisfaites, leurs ordres exécutés par ce génie qui use et abuse parfois de sa suppléance mentale et de son pragmatisme linguistique.
Alors, va-t-on à l’école pour ne plus se faire comprendre de ses proches ? En effet, une mère de famille nous a confessé qu’après la scolarisation de sa propre fille sourde, elle ne comprenait plus rien aux signes que cette dernière utilisait. Pire, elle comprenait mieux sa nièce non scolarisée que sa propre fille. En analysant cette situation de plus près, on s’est rendu compte que les parents entendants suivent le fil des échanges linguistiques avec leurs enfants sourds dès lors qu’ils contribuent à la création du vocabulaire des familiolectes (langue des signes de la maison ou homesign) et se sentent déconnectés voire même dépassés quand ils perdent ce rôle précieux et sont obligés d’apprendre.
La responsabilité partagée suppose que les parents ne laissent pas l’enfant sourd se charger tout seul de la langue des signes.